Gibran Khalil Gibran


Gibran Khalil Gibran
Ecrivain, peintre et sculpteur libanais



Le prophète




Matières:
  1. L'amitié
  2. L'amour
  3. Le mariage
  4. Les enfants
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Gibran sur le web:



1. L'amitié

Et un jeune dit : parle-nous de l'amitié.
Et il répondit, disant :
Votre ami est votre besoin qui a trouvé une réponse.
Il est le champ que vous semez avec amour et moissonnez avec reconnaissance.
Il est votre table et votre foyer.
Car vous venez à lui avec votre faim, et vous cherchez en lui la paix.
Lorsque votre ami parle de ses pensées vous ne craignez
pas le "non" de votre esprit, ni ne refusez le "oui".
Et quand il est silencieux votre coeur ne cesse d'écouter son coeur;
Car en amitié, toutes les pensées, tous les désirs, toutes les attentes naissent et sont partagés sans mots, dans une joie muette.
Quand vous vous séparez de votre ami, ne vous désolez pas;
Car ce que vous aimez en lui peut être plus clair en son absence, comme la montagne pour le randonneur est plus visible vue de la plaine.
Et qu'il n'y ait d'autre intention dans l'amitié que l'approfondissement de l'esprit.
Car l'amour qui cherche autre chose que la révélation de son propre mystère n'est pas l'amour, mais un filet jeté au loin : et ce que vous prenez est vain.
Et donnez à votre ami le meilleur de vous-même.
Et s'il doit connaître le reflux de votre marée, laissez le connaître aussi son flux.
Car qu'est-ce que votre ami si vous venez le voir avec pour tout présent des heures à tuer ?
Venez toujours le voir avec des heures à faire vivre.
Car il est là pour remplir vos besoins, et non votre néant.
Et dans la tendresse de l'amitié qu'il y ait le rire et le partage des plaisirs.
Car dans la rosée de menues choses le coeur trouve son matin et sa fraîcheur.


2. L'amour

Alors al-Mitra dit : parle-nous de l'amour.
Il leva la tête et regarda la foule sur laquelle un grand silence s'était abattu. D'une voix assurée, il dit:
Quand l'amour vous fait signe, suivez-le,
Bien que ses chemins soient raides et ardus.
Et quand il vous enveloppe de ses ailes, cédez-lui,
Même si l'épée cachée dans ses pennes vous blesse,
Et quand il vous parle, croyez en lui,
Même si sa voix brise vos rêves comme le vent du nord dévastant un jardin.
Car si l'amour vous couronne, il vous crucifie aussi. Et s'il est pour votre croissance, il est aussi pour votre élagage.
De même qu'il s'élève à votre hauteur pour caresser vos plus tendres branches frémissant dans le soleil,
Il descend jusqu'à vos racines et les secoue de leur adhérence à la terre.
Telles des gerbes de blé, il vous ramasse et vous serre contre lui.
Il vous vanne pour vous dénuder.
Il vous tamise pour vous libérer de votre enveloppe.
Il vous pile jusqu'à la blancheur.
Il vous pétrit jusqu'à vous rendre malléables;
Puis il vous assigne à son feu sacré afin que vous deveniez pain sacré au festin sacré de Dieu.
Tout cela, l'amour vous le fait subir afin que vous connaissiez les secrets de votre coeur et, au travers de cette connaissance, deveniez fragment du coeur de la Vie.
Mais si, pusillanimes, vous ne recherchiez que la paix de l'amour et sa volupté,
Mieux vaudrait pour vous couvrir votre nudité et sortir de l'aire de l'amour,
Pour pénétrer dans le monde sans saisons en lequel vous rirez, mais pas de tout votre rire, et pleurerez, mais pas de toutes vos larmes.
L'amour ne donne que de lui même et ne prend que de lui-même.
L'amour ne possède pas et ne saurait être possédé.
Car l'amour suffit à l'amour.
Lorsque vous aimez, vous ne devriez pas dire : "Dieu est dans mon coeur", mais plutôt : "Je suis dans le coeur de Dieu."
Et ne croyez pas qu'il vous appartienne de diriger le cours de l'amour, car c'est l'amour, s'il vous en juge dignes, qui dirigera le vôtre.
L'amour n'a d'autre désir que de s'accomplir.
Mais si vous aimez et ne pouvez échapper aux désirs, qu'ils soient ceux-ci :
Vous dissoudre et être comme l'eau vive d'un ruisseau chantant sa melopée à la nuit,
Connaître la douleur d'une tendresse excessive,
Recevoir la blessure de votre conception de l'amour,
Perdre votre sang volontiers et avec joie,
Vous réveiller aux aurores, le coeur ailé, et rendre grâces pour une nouvelle journée d'amour,
Vous reposer à l'heure du méridien et méditer l'extase de l'amour,
Revenir à votre foyer le soir, avec gratitude,
Puis vous endormir avec au coeur une prière pour l'être aimé et sur vos lèvres un chant de louange.


3. Le mariage

Al-Mitra reprit la parole. Elle demanda : maître, que dire du mariage ?
Il répondit :
Ensemble êtes-vous nés et ensemble resterez-vous pour toujours.
Quand les blanches ailes de la mort éparpilleront vos jours, vous serez ensemble.
Oui, vous serez ensemble dans la mémoire silencieuse de Dieu.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre entente.
Que les vents des cieux puissent danser entre vous.
Aimez-vous, l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour un carcan:
Qu'il soit plutôt mer mouvante entre les rives de vos âmes.
Remplissez, chacun, la coupe de l'autre, mais ne buvez pas à la même.
Donnez-vous l'un à l'autre de votre pain, mais ne partagez pas le même morceau.
Chantez et dansez ensemble, et soyez joyeux, mais que chacun demeure isolé,
Comme sont isolées les cordes du luth, bien que frémissantes de la même musique.
Donnez vos coeurs, mais pas à la garde de l'autre,
Car vos coeurs, seule la main de Dieu peut les contenir.
Et dressez-vous ensemble, mais pas trop près l'un de l'autre :
Car les piliers du temple se dressent séparément,
Et le chêne et le cyprès ne peuvent croître dans leur ombre mutuelle.


4. Les enfants

Une femme qui tenait un nouveau-né contre son sein dit : parle-nous des enfants.
Il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles du désir de la Vie pour elle-même.
Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous,
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées.
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez loger leurs coprs, mais pas leurs âmes.
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même en rêve.
Vous pouvez vous efforcer d'être semblables à eux, mais ne cherchez pas à les rendre semblables à vous,
Car la vie ne revient pas en arrière et ne s'attarde pas avec le passé.
Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants, telles des flèches vivantes, sont lancés.
L'Archer vise la cible sur la trajectoire de l'infini, et Il vous courbe de toutes ses forces afin que les flèches soient rapides et leur portée lointaine.
Puisse votre courbure dans la main de l'Archer être pour l'allégresse,
Car de même qu'Il chérit la flèche en son envol, Il aime l'arc aussi en sa stabilité.



Liban par Tyros